Résidence artistique de Daniel Deshays

Semaine de résidence avec les étudiants du master 2 Création artistique
Culture, Vie étudiante
On n’a rien entendu ! Tel est le constat que l’on peut faire à la sortie d’une projection. Si les images perdurent en nous, les sons se sont déjà envolés. Demeure peut-être une ritournelle, guère plus… Pourtant notre corps a été bouleversé. Par quoi ?
L’oubli généralisé du son nous interroge. Comment faire apparaître le son à notre conscience ? Le son disparaît sous l’image dans la fusion d’une action. Ce synchronisme qui lie son/image, serait-il la raison première de sa disparition ? Comprendre comment nous écoutons le réel peut nous aider à appréhender ses modèles de construction. Pour apercevoir ce que nous ne voyons même plus dans les pratiques courantes, il faut démonter les protocoles ordinaires, déconstruire les habitus de réalisation. Avant de penser la reconstruction, s’impose la nécessité de perdre l’excès offert par la prise de son directe, de mettre au point des méthodes d’évacuation de cet excès et d’organiser les systèmes pour révéler ce que l’on veut désigner. Vient l’idée d’élaborer des méthodes spécifiques à
chaque film, pour en organiser les surgissements, les coupures, les ellipses. Comment combiner, associer ces moteurs qui, si discrètement, organisent l’énergie filmique ? Comment ces nécessités prennent en charge ce qui du film apparaît le moins mais constitue l’outil le plus efficace de l’organisation de la vision ?

Reste donc à faire apparaître comment certains cinéastes y parviennent — dans des moments particuliers de leur œuvre, plutôt que dans leur totalité —, mettant ainsi leur film au relatif du sonore. Lorsque la singularité se distingue, elle ne nous arrive pas directement lisible, à peine saisissable, elle surgit par la sensation. Le sonore n’est pas spectaculaire, il est sensationnel : c’est le film qui se singularise dans son entier, le son travaillant toujours discrètement au seul bénéfice du film lui-même.

Ces films « créés par le son » sont peu fréquents. La qualité ne peut survenir par la seule volonté d’un écart opéré avec le son, mais par un travail dès la conception du film.
Au cinéma tout se vit globalement, c’est le synchronisme unissant les images et les sons qui, par son formidable pouvoir fusionnel, nous tient à l’écart d’une conscience de l’existence séparée des deux constituants du cinéma : images et son.

Étudier le son, cette face cachée, incite à comprendre d’abord les raisons de sa disparition. Nous ne sommes pourtant pas si sourds ; pourquoi cet objet est-il si peu considéré par le public, les critiques, voire les cinéastes eux-mêmes ? Car de l’usage du son, il n’en va pas de même pour chaque réalisateur et si certains s’en occupent plus que d’autres, il n’est pas pour autant de vocabulaire commun. Le son de Tati n’est pas le son de Godard, celui de Tarkovski n’est pas celui de Robbe-Grillet. C’est que chacun doit le constituer spécifiquement, l’inventer, le bricoler. Chaque film appelle à son invention sonore mais paradoxalement, dans toute l’œuvre d’un cinéaste, un ou deux films seulement peuvent avoir été pensés du point de vue du son. Et si, depuis 1929, tous les films
sont sonores, tous ne nous livrent pas les mêmes richesses.

Si c’est la qualité sonore qui est en jeu, qualité ne signifie pas qualité technique ou complexité technologique. Il s’agit d’intelligence de construction, d’écriture du son. Les films anciens bâtis sous des technologies sommaires n’offrent pas moins de richesses que les réalisations sonores de films récents.

À qui revient la réalisation sonore d’un film ? A la longue chaîne des techniciens qui se succèdent ou au réalisateur ?
Comment les bandes son sont-elles agencées en regard des images ? Il faut revenir aux fondamentaux de l’écoute, car c’est en eux que se cachent les règles de la perception. Et si réaliser le son c’est donner à entendre, c’est par la désignation, spécifiquement dosée, que le parcours d’écoute du spectateur pourra plus profondément s’accomplir. Comment désigner avec cette foison chaotique que ramène le micro —celle que chacun subit lors de l’écoute des images saisies au moyen de son petit caméscope ? Là apparaît l’impérieuse nécessité d’un démontage de la réalité sonore, avant que puisse s’opérer une méticuleuse reconstruction. A cet endroit, là où la puissance des sons côtoie le presque rien, et surtout dans ce presque rien que nous recevons, que nous sentons en nous comme une perception tactile, se tient, secret, le lieu du partage du sensible.

Ce que je souhaite entendre dans l’enregistrement, dans le détail des actions offertes par la réalisation sonore, c’est la qualité du désir d’échange qui s’y joue. Le moindre détail de mouvement produit par hésitation ou au contraire par certitude va nourrir toute la qualité du sens. Qu’il s’agisse du mouvement d’une voix, de celui d’un objet, d’un instrument ou du mouvement du micro qui le capte. Ce sont ces données extrêmement minces qui sont au centre des enjeux de l’écoute. Car ce qui importe dans l’écoute n’est pas ce qui est défini mais ce qui est incertain. C’est le degré d’incertitude qui est écouté. Notre écoute grandit proportionnellement à son incomplétude. Ce qui est trop offert n’engage qu’un bref intérêt. Le désir d’écoute naît de l’étonnement. L’étonnement naît de la rupture, il dépend des conditions d’existence des discontinuités. C’est la discontinuité des flux qui engage l’attention. C’est la rupture qui active notre nécessité de comprendre ce qui vient de surgir. Là se trouve un des moteurs de réactivation de l’écoute de l’auditeur. C’est en écoutant un large panel d’extraits filmiques que se révèlera la diversité des approches. Le son, agent secret est le convertisseur des images. La projection nous fera vite comprendre que c’est au film tout entier que bénéficie le travail effectué sur le son.

Daniel Desays et étudiatnts

Une résidence pour entendre le cinéma

C’est en écoutant un large panel d’extraits filmiques que se révèlera la diversité des approches.
Le son, agent secret est le convertisseur des images. La projection nous fera vite comprendre que c’est au film tout entier que bénéficie le travail effectué sur le son.
Une résidence pour entendre le cinéma
C’est l’invention du synchronisme qui a permis l’arrivée du parlant.
Dès lors un nouveau mode de construction filmique est apparu, devenant la procédure dominante du cinéma.
Et si l’on renversait les protocoles de la réalisation : commencer par le son en s’émancipant du synchronisme ?
Sous quelle nature apparaitrait le film ?
C’est ce que vos pratiques vont tenter de nous faire découvrir.
Daniel Deshays

Daniel Deshays

Il a été durant vingt-cinq années concepteur du son pour le spectacle vivant (théâtre et danse) et pour de grands évènements nationaux. Il a réalisé plus de deux cent cinquante disques et l’enregistrement pour le cinéma du direct de la post-production et/ou des musiques pour plus d’une centaine de films. Directeur de recherche et professeur d’université, il a conçu l’enseignement et enseigné dix ans à l’École des Beaux-Arts de Paris et vingt-cinq années ans à l’école nationale du théâtre (ENSATT). Il enseigne actuellement à la Fémis, la Head de Genève, à l’EICTV de Cuba et aux Ateliers Varan
Mis à jour le  28 novembre 2023