Résidence artistique de Jean-Gabriel Périot

Semaine de résidence avec les étudiants du master 2 Création artistique
Culture, Vie étudiante
Pour moi, réaliser un film c’est avant tout entreprendre un travail de pensée. Je pourrais dire que je ne commence à travailler sur ce qui deviendra un film uniquement après avoir découvert un sujet (une histoire, un événement, une image…) que je ne comprends pas vraiment, qui m’échappe, qui semble cacher quelque chose et qui, justement pour cela, m’arrête et me retient.
Comme si je pressentais qu’en cherchant dans les ombres de ce sujet, je pourrais peut-être découvrir ce qui m’a troublé et que je pressens comme essentiel. Si chacun de mes films semble adresser un discours construit aux spectatrices et aux spectateurs, s’il semble affirmer une position face aux évènements dont il traite, chacun d’eux n’est pourtant qu’une modeste tentative pour mettre au clair les doutes que son sujet suscite en moi. Pour le dire autrement, pour moi, un film est avant tout le lieu de l’élaboration d’un  questionnement et non celui de l’énonciation d’un discours ou d’une certitude. Et pour cela, j’utilise deux moyens.

Le premier est celui de la recherche. Pour chaque film, je procède à des recherches aussi extensives que possible. Il s’agit de lire et de regarder  méthodiquement tout ce qui est accessible sur le sujet qui me préoccupe. D’une certaine manière, j’entreprends le même travail que pour préparer un mémoire, si ce n’est que je ne passe jamais à la phase de rédaction. Même si l’on n’arrivera jamais à totalement définir et expliciter tout ce qui peut nous troubler et nous émouvoir face à un sujet donné, il est primordial d’être le plus précis possible pour comprendre autant que faire se peut notre sujet, pour ne pas commettre d’erreurs factuelles, pour apprendre à repérer ce qui relève d’aprioris ou de biais culturels voire idéologiques, et pour éviter toute forme de naïveté. Quand il s’agit d’interroger des images préexistantes, de telles recherches permettent de mieux comprendre ces images (en apprenant d’où elles proviennent, qui les a réalisées, pourquoi, comment elles ont été diffusées, etc.) mais elle sont également nécessaire pour identifier d’autres images relevant du même sujet. Paradoxalement, même en étant très méthodique, une partie significative des textes que l’on va lire et des images que l’on va regarder ne corresponde pas vraiment, si ce n’est pas du tout, à notre sujet. Cela pourrait apparaître comme une perte de temps, pourtant se perdre permet de trouver des éléments raisonnant avec ce qui nous préoccupe sans y être pourtant clairement liés. Ces éléments, qui souvent ne se retrouvent pas dans le travail final, sont pour moi des éléments essentiels à l’élaboration de mes réflexions. Comme s’il me fallait tout autant passer par un travail rigoureux que par des échappées, des trouées poétiques et sensibles ; comme s’il fallait parfois me perdre pour revenir plus aguerri, plus alerte, à l’objet de mes recherches.

Le second moyen à ma disposition est le montage des éléments visuels trouvés pendant mes recherches. On a beau connaître, ou croire connaître, ses propres images ou les images d’archive que l’on a c sélectionnées, ces images changent de nature une fois montées avec d’autres images. Comme si la confrontation de ces images entre elles ouvrait à un nouveau type de compréhension et d’appréhension. Évidemment, je ne parle pas là d’un montage classique dans lequel les images (tournées ou d’archive) ne servent qu’à illustrer un propos préétabli et souvent ânonné en voix off, mais d’un montage cinématographique qui a foi dans les outils techniques et poétiques du cinéma. Il n’est pas si facile de se défaire des connaissances, des aprioris, des ressentis, que l’on a emmagasiné sur les images que l’on va monter, mais cela est nécessaire pour mieux entrevoir ce qui nous pose problème dans ces images, ce qu’elles cachent, ce qu’elles ne nous disent pas encore. Le montage est alors le lieu d’une expérimentation, avec sa part de ratés plus ou moins heureux, mais aussi celui de l’élaboration d’un regard et d’une pensée qui ne peut advenir que par la pratique. C’est grâce au montage et par le montage, que j’arrive, peut-être, à rendre lisibles à mes propres yeux les questions qui m’ont fait m’arrêter sur un sujet et que je n’arrivais pas jusque-là à exprimer.

Chacune et chacun d’entre vous travaille sur un film ou un mémoire dont vous avez arrêtez le sujet et pour lequel vous avez déjà dû commencer un travail de recherche. Indépendamment de votre objet final, film ou mémoire, et malgré la plus ou moins grande précision des projets que vous avez rendus, je suppose que tout n’est pas encore clair pour vous ni dans votre travail à venir ni dans ce qui vous a décidé à travailler sur tel ou tel sujet.

Ce que je vous propose pour préparer cet atelier, c’est que vous ameniez des éléments glanés pendant vos recherches (extraits de textes, de films, d’interviews ; photographies ; musiques, enregistrements sonores, etc.), divers matériaux qui vous touchent, vous émeuvent, vous questionnent sans forcément être liés à votre sujet mais que vous avez trouvez en y travaillant. Par exemple, si l’une ou l’un d’entre vous travaille sur un mémoire sur Tarkovski, elle ou il peut évidemment amener des éléments qui sont au cœur de son sujet (des extraits de films du cinéaste, un de ses textes, un bout d’interview, etc.) mais il faut aussi amener des éléments trouvés pensant la recherche et qui semblent faire écho au sujet, qui semble « résonner / raisonner » avec lui, sans pour autant y être directement liés. Pour celles et ceux qui filment, vous pouvez bien sûr amener des images, des rushs et des sons pris pendant vos repérages, mais là encore, il ne s’agira pas d’utiliser uniquement ces images et ces sons. Vous pourriez amener d’autres images filmées par vous mais qui ne correspondent plus vraiment à votre projet du moment, des extraits de films qui vous inspirent, des extraits d’interviews ou de textes d’intellectuel-le-s, d’artistes qui vous aident à comprendre votre propre travail, etc.
Vous n’avez pas à entreprendre une recherche spécifique pour l’atelier. Il s’agit simplement de réunir les éléments audiovisuels que vous avez déjà collecté autour de vos projets et ou que vous allez glaner d’ici fin octobre. Ne cherchez pas à être trop logique dans l’ensemble de ces éléments. Celui n’a pas à être forcément cohérent et organisé. Au contraire, il s’agit plutôt d’un bric-à-brac d’éléments disparates qui ne vont pas forcément ensemble mais que vous aurez à chaque fois choisi car ils vous « parlent », vous questionnent, vous touchent sans que vous sachiez toujours très bien pourquoi. Nous utiliserons le temps de l’atelier pour travailler ce matériel par le montage, sans chercher de résultat précis autre que celui de vous permettre de comprendre mieux votre propre matériel et votre projet, voire de fabriquer un petit objet trahissant la couleur, la sensibilité, la tonalité de votre film ou de votre mémoire à venir.

En parallèle à ce travail de montage qui occupera la majorité du temps de l’atelier, nous étudierons ensemble quelques-uns de mes films, ce qui me permettra de vous expliquer concrètement comment j’ai réalisé ces films à partir d’une rencontre hasardeuse avec un sujet précis et quels chemins plus ou moins tortueux j’ai empruntés pour aboutir à ces films.
Jean-Gabriel Périot
 
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Mis à jour le  28 novembre 2023