Qu'est-ce qu'une formation en linguistique régionale ?

Formation, Vie étudiante
Zoom sur une discipline peu connue et non moins prometteuse de nos formations de Sciences du Langage, la Linguistique régionale. Interview d’Elisabetta Carpitelli et Giovanni Depau.
  • Que pourriez-vous dire à propos de ce cours de linguistique régionale? Est-il ancien, s'est-il développé au cours des dernières années, quelle place lui attribuez-vous dans la nouvelle accréditation?

Le cours de linguistique régionale existe depuis plus de 10 ans dans notre université et a évolué dans le temps : en effet, aujourd'hui l'enseignement, en plus de la description géo-linguistique de phénomènes phonétiques, morpho-syntaxiques et lexicaux qui caractérisent les langues autochtones et historiques de France, notamment à partir de données d'enquêtes de terrain d'époques différentes, aborde des questions sur la valorisation de ces parlers régionaux ainsi que des réflexions sur les politiques linguistiques en Europe qui sauvegardent ou, selon les cas, limitent ou empêchent de manière plus ou moins dure l'usage de ces langues de diffusion non nationale. Dans notre maquette, la linguistique régionale fait partie de l'Offre fondamentale, proposée aux étudiants de la L2.
  • Les problématiques liées aux langues régionales engagent-elles l'UFR dans une démarche de curiosité et de tolérance, par le biais de ce cours spécialisé?
Cette question est difficile : notre idée est exactement celle de sensibiliser nos étudiants et même nos propres collègues à l'égard de ces langues et ces cultures à diffusion "régionale" et donc pour cela en danger depuis très longtemps surtout en France.
Naturellement, "régional" ne fait pas référence à la région administrative, mais plutôt au sens de "portion de territoire inférieure/non correspondant à l'espace national". Ainsi, de façon seulement à l'apparence paradoxale, la linguistique régionale s'intéresse aussi à des langues qui sont à la fois "régionales" et "internationales" comme c'est le cas, entre autres, de l'occitan (France, Espagne, Italie) ou du francoprovençal (France, Italie, Suisse), pour rester dans l'espace rhônalpin. La question des "frontières" (linguistiques, géographiques et politiques) est donc centrale dans l'étude de la linguistique régionale.

La France est peut-être le pays ou l'un des pays de l'Europe occidentale les moins tolérants, historiquement, à l'égard des langues autres que le français, la langue officielle de l'Etat : par exemple, la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires mais pour plusieurs raisons elle ne l'a pas ratifiée. En revanche, une loi très récente à ce propos, connue sous le nom de "Loi Molac" et relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été promulguée le 21 mai 2021. Celle-ci apporte des mesures de protection et de promotion des langues régionales dans les domaines du patrimoine, de l’enseignement et des services publics. Son impact est, naturellement, encore à évaluer. L'attention pour ces langues, qui sont donc des langues à part entières, et pour leur sauvegarde permet de sensibiliser les gens à l'égard de l'altérité culturelle de manière plus large. En tant qu'enseignants-chercheurs en dialectologie, nous avons toujours fait tout notre possible pour souligner l'importance de cet enseignement au sein de notre département de Sciences du Langage qui, surtout depuis deux mandats de direction (la direction qui a précédé l'actuelle et l'actuelle), a fait son possible pour préserver une place pour cette discipline.
Parmi les étudiant.es de nos cours de linguistique il y en a plusieurs qui prennent conscience que dans leur famille ou dans leur commune d’origine, une langue autochtone est (ou était autrefois) pratiquée. Ces langues représentent alors, en quelque sorte, l’identité locale de ces étudiant.es non-patoisant.es. Ainsi, l’intérêt que ces derniers témoignent aux pratiques linguistiques locales se traduit parfois par des adhésions volontaires à des micro-actions de terrain: réalisation d’entretiens avec des membres de la famille, locuteurs de la langue locale, ou la récupération de documents écrits dans une variété dialectale qui seraient difficilement accessibles en dehors de ce réseau spontané. Pour les linguistes qui travaillent sur des langues dites "régionales", l’intérêt montré par ces étudiants est un motif de satisfaction humaine et professionnelle important. C’est également un élément de dynamisme non négligeable, sur lequel nous pouvons nous appuyer pour mettre en place des actions où la recherche s’allie à la pédagogie, parfois excessivement séparées l’une de l’autre dans l’observation des langues à tradition orale.
  • Les étudiants étrangers sont -ils admis dans ce cours, et si oui, l'apprécient-ils?
Les étudiants étrangers arrivant dans le cadre de programmes d'échanges internationaux (Erasmus, etc.) sont les bienvenus et quand ils sont présents leur apport est très important puisqu'ils apportent leur expérience de la présence de langues régionales ou minoritaires dans leurs pays. Il faut préciser que le département Sciences du langage/FLE a pu faire ouvrir également un enseignement spécifique pour les étudiants internationaux intitulé "Langues régionales et patrimoine culturel" qui permet aux étudiants étrangers de connaître la culture et les langues régionales de notre région, de manière adaptée à leurs compétences. Ce cours a obtenu un bel accueil depuis la première année (2018) où il a été lancé avec le plein soutien de la direction du département.
  • Quels enseignants de l'UFR travaillent plus particulièrement dans le domaine de la linguistique régionale?
Les enseignants concernés sont Elisabetta Carpitelli et Giovanni Depau en tant que dialectologues ; des vacataires, dialectologues de formation ou spécialistes d'une langue régionale, nous aident pour le cours destiné aux étudiants internationaux. Pour le cours de Linguistique régionale, nous avons eu la contribution, cette année, d'un collègue de l'Université Catholique de Lyon, qui a pu approfondir le francoprovençal, langue dont il est locuteur natif.
  • Quelles actions sont menées pour gagner en visibilité et sensibiliser les étudiants aux problématiques liées au langues régionales?
Au niveau local, une activité est menée auprès des associations des patoisants dans l'aire francoprovençale de notre région (Savoie, aire de La Mure) pour la valorisation de leur patrimoine culturel et linguistique : des documents sonores ont été enregistrés et transcrits, grâce aussi à la collaboration de nos étudiants, notamment de Master mais aussi de L2 ou L3. Les étudiants nous demandent régulièrement des stages pour travailler avec nous (2 ou 3 étudiants chaque année, y compris des étudiants de Licence) sur des documents (oraux ou écrits) en langues régionales de France mais aussi d'autres pays (actuellement un étudiant de Licence d'origine kosovare est en train de nous aider à comprendre des témoignages linguistiques dans des variétés régionales d'Albanie).
Dans l'Ouvre boîte de l'UGA vous pouvez voir une partie des documents que nous utilisons avec les étudiants (les atlas linguistiques) : https://culture.univ-grenoble-alpes.fr/menu-principal/patrimoines/patrimoine-scientifique/collections-et-instruments/linguistique-681021.kjsp
Nous avons aussi répondu à une enquête sur les disciplines rares menées par le Ministère de la Recherche. A la suite de cette enquête, nous avons été contactés, avec d'autres collègues responsables en France d'enseignements de linguistique ou de langues régionales à l'Université, par Caroline Censier Calmus, chargée de mission auprès du Ministère pour ce type d'enquête. La linguistique régionale et les langues régionales ont donc été choisies parmi les SHS pour faire démarrer ce projet de soutien aux disciplines rares. Comme dans nos cours nous abordons en particulier la situation du francoprovençal, devenu récemment (comme d'autres langues régionales qui le sont depuis longtemps) objet d'enseignement scolaire, nous sommes en train de nous coordonner avec nos collègues de Lyon 2 et de l'Université Catholique de Lyon qui dispensent des enseignements analogues pour constituer le pôle "francoprovençal" de cette action du ministère. Nous avons déjà participé à la première réunion nationale avec Mme Censier Calmus il y a une dizaine de jours et avons été contactés de nouveau la semaine dernière à la suite de la compilation d'un document commun avec les universités lyonnaises. Dans le projet du Ministère, qui s'encadre dans l'actuel projet de la présidence de la République de soutenir l'emploi et le développement des langues régionales, plusieurs actions sont envisagées qui devraient conduire à la préservation de ce type d'enseignements en tant que disciplines importantes pour la culture et le patrimoine du pays.
Mis à jour le  17 mai 2022