Phonétique expérimentale de l’acquisition des langues

Formation, Vie étudiante
Dans cet article, Thi Thuy Hien TRAN, Maître de conférences en Phonétique et Directrice des études de L1 Sciences du langage, nous explique en quoi consiste la phonétique expérimentale.

Quelques mots sur l’historique de la phonétique expérimentale à Grenoble

La phonétique expérimentale devient une discipline scientifique qui étudie la parole et le langage au tournant du XXe siècle initiée avec la thèse de l’abbé Rousselot soutenue en 1891 sur les modifications phonétiques du parler de Cellefrouin en Charente par une méthode expérimentale. La publication s’en est suivie en deux volumes Principes de phonétique expérimentale en 1897 et 1901. Ces faits marquent un tournant de la phonétique qui va élargir ses champs d’investigation et aller au-delà des aspects historiques et de la grammaire comparée.

Grenoble a participé très activement à l’avènement de la phonétique expérimentale. En 1904, l’Université obtient, pour l’enseignement du français aux étrangers, la création d’un poste de maître de conférences de philologie française moderne, financé par le comité de patronage des étudiants étrangers. C’est Théodore Rosset, élève de Rousselot, qui est recruté. Il installe, dès son arrivée, un laboratoire de phonétique expérimentale qui recevra peu après le nom d’Institut de Phonétique de Grenoble. Directeur-fondateur, Théodore Rosset se fait rapidement connaître pour ses contributions à l’enseignement de la prononciation du français et pour son rôle dans le développement de la phonétique de laboratoire en proposant le rapprochement de l’enseignement pratique de la prononciation des langues et l’étude scientifique de l’oral. « C’était là une idée originale que de grouper, pour la première fois en France et en un institut unique, toutes les recherches et toutes les disciplines (phonétique descriptive, phonétique historique, phonétique instrumentale, étude phonétique des dialectes, phonétique pratique et corrective …) qui se rapportent au langage parlé et de montrer la solidarité étroite qui unit tous les tronçons, jusque-là épars, d’une même science » (Gsell, 1956, cité par Boë et Vilain, 2011).

Le cours de « Phonétique expérimentale de l’acquisition des langues » s’inscrit donc dans la lignée des travaux de Théodore Rosset à Grenoble. Le cours aborde la problématique de l’apprentissage de la prononciation d’une langue seconde (L2) et vise à faire découvrir des études expérimentales qui tentent d’expliquer et de comprendre les processus d’apprentissage des systèmes linguistiques. Il aborde aussi des méthodes et des outils technologiques favorisant l’acquisition de la prononciation d’une langue seconde en ciblant les types de difficultés rencontrées par les apprenants. Une partie des contenus du cours se nourrit des données du laboratoire qui apporte de nouveaux aperçus sur l’orientation des études phonétiques, et sur l’importance de la méthode expérimentale dans les études en acquisition de la prononciation d’une langue seconde.

Descriptif du cours

Des notions de phonétique générale ciblées sur l’apprentissage des langues secondes sont présentées dans la première partie du cours. La notion de « surdité phonologique » est décrite pour comprendre certains facteurs de la langue maternelle et des processus de traitement de la parole responsables de « l’accent » en langue seconde. Divers exemples d’inventaires phonologiques de L1 sont étudiés pour les conséquences différentes qu’ils engendrent dans l’apprentissage d’une même langue seconde. Le cours présente aussi des difficultés récurrentes dans l’acquisition de la prononciation d’une L2 pouvant aller jusqu’à la fossilisation même chez des apprenants avancés. Les causes de ces difficultés sont étudiées en lien étroit avec les mécanismes de perception-production de la parole. Dans ce cadre, des études récentes qui cherchent à impliquer des outils technologiques capables de surmonter les effets du crible phonologique lors de l’apprentissage d’une L2 sont présentées.

Le cours convie les étudiants à prendre toute la mesure de ce que les difficultés de prononciation dans une L2 engendrent dans la pratique de cette langue, sur les moyens expérimentaux qui peuvent être utilisés pour étudier les processus d’acquisition des formes sonores d’une L2.

Dans la partie expérimentale du cours, les étudiants ont l’occasion de traiter une problématique comme le ferait un phonéticien en étudiant de plus près la difficulté des apprenants en perception et en production des sons d’une L2. Ils mènent en binôme un projet à partir d’une problématique souvent issue de leur propre expérience (construire un corpus, chercher un locuteur natif de la L2 et l’enregistrer dans la chambre sourde du laboratoire GIPSA-lab, monter une interface de test perceptif, chercher un ou des apprenants et lui/leur faire passer le test, analyser les résultats et les discuter dans le cadre des théories de l’acquisition / apprentissage vues en cours). Voici quelques exemples des projets que les étudiants ont choisi :
  • La difficulté des apprenants francophones à percevoir la différence entre les voyelles /i/ et /ɪ/ de l’anglais (pour pouvoir distinguer entre les mots hit et heat, ship et sheep par exemple)
  • Pourquoi les apprenants anglais ou russes ou italophones n’arrivent pas à bien percevoir la différence entre les deux sons /u/ et /y/ du français et donc la différence entre les phrases Tout va bien et Tu vas bien ?
  • Pourquoi les apprenants chinois ont toutes les peines du monde à entendre la différence entre les mots cadeau et gâteau ?
  • Pourquoi les apprenants japonais ont beaucoup de mal à faire la distinction entre le lit et le riz ?

Répondre à ces questions permet aussi plus largement de comprendre le fonctionnement du langage humain (par exemple au niveau phonologique).

Le cours existe dans notre maquette depuis maintenant 5 ans. C’est un cours qui est proposé en Offre de Formation Complémentaire aux étudiants de la L2. Il est également ouvert aux étudiants étrangers qui arrivent régulièrement chaque année dans le cadre de programmes d’échanges internationaux (ERASMUS, etc.). L’apport des étudiants étrangers est particulièrement important, d’une part puisqu’ils partagent leur expérience d’apprenant du FLE et les difficultés qu’ils ont rencontrées ou rencontrent encore dans la prononciation du français, et d’autre part, leurs langues maternelles (anglais, italien, espagnol) constituent très souvent les langues cibles de nos étudiants francophones.

Références :

Boë L.-J. & Vilain, C.-E. (2011) Un siècle de phonétique expérimentale. Fondation et éléments de développement. ENS Editions.
Rousselot (1897). Principes de phonétique expérimentale, tome I, Paris-Leipzig, Welter.
Rousselot (1901). Principes de phonétique expérimentale, tome II, Paris-Leipzig, Welter.
Mis à jour le  17 mai 2022